Ne pas se fier au titre, plus évocateur que provocateur. Plutôt vomir que faillir traduit ce sentiment de grandes perturbations que peut engendrer la période de l’adolescence, surtout quand on ne rentre pas dans la soi-disant norme, que l’on se sent différent. C’est le malaise, ressenti au cœur même de son identité, au plus profond de son être que le titre et le spectacle mis en scène par Rebecca Chaillon veulent traduire.
Fidèles à l’esprit artistique et militant de l’artiste martiniquaise, les jeunes comédien.nes Chara Afouhouye (que vous avez pu voir dans la série Ultra-loin !), Mélodie Lauret, Zakary Bairi et Anthony Martine à travers leur jeu et des performances crues mais élaborées, font appel à ce qu’ils.elles sont (leurs origines dans lesquelles se distinguent souvent les Outre-mer, leurs orientations sexuelles, leurs genres…) pour raconter une part de leur vie : leur adolescence. Un projet qui tient tout particulièrement à cœur Rebecca Chaillon et auquel a complètement adhéré la petite bande des 4, à en croire leurs confidences au creux de L’Oreille est hardie :
Plutôt performance que théâtre conventionnel
C’est courant février, au Carreau du Temple à Paris, que L’Oreille est hardie découvre Plutôt vomir que faillir qui a fait halte dans la salle parisienne pour deux représentations. Salles combles. Pas étonnant : un spectacle signé Rebecca Chaillon, comédienne, autrice, metteuse en scène, artiste adepte de la performance, connue pour ses choix de représentation sur scène radicaux, porteurs des messages directs et forts, c’est déjà le gage d’être remué émotionnellement et intellectuellement.
Oubliées les habitudes de théâtre conventionnel, place au théâtre cru, au théâtre nu, engagé et engageant tout son corps, qu’il faut plutôt voir que décrire. Et ce n’est pas pour botter en touche que ces lignes sont écrites : si vous ne connaissez pas le travail de Rebecca Chaillon, conseil vous est donné de voir en tournée cet autre spectacle Carte noire nommée désir qui dit beaucoup de choses sur ce qu’elle peut produire sur scène.
Un casting de personnalités
Cette fois-ci, elle ne joue pas de son corps , elle ne "performe" pas elle-même. Pour ce projet tournant autour de l’adolescence, Rebecca Chaillon a donc fait appel à quatre jeunes comédien.nes qu’elle a sélectionnés sur casting où elle a fait figurer toute une série de critères tous en dehors des normes dominantes : variétés des origines, des genres, des orientations sexuelles...
C’est ainsi notamment que Chara, Anthony et Mélodie ont été choisis. Zakary avait rencontré Rebecca Chaillon bien en amont du projet, au cours d’un festival dans lequel l’un et l’autre jouaient. Mais pour tous, c’est surtout la rencontre avec une forme théâtrale qu’aucun ne connaissait vraiment : la performance.
L’idée étant de s’exprimer le plus librement possible par le biais d’actions, de gestes spectaculaires provoquant l’étonnement, la subjugation parfois le dégoût. Tout est matière à ce type de représentation : son propre corps qui peut être mis à nu, emploi d’objets plus ou moins insolites (peinture sur le corps, usage de produits alimentaires, papier toilette…). Le tout au service d’un propos.
Se (dé)livrer sur scène
Sur scène donc, dans un décor qui ressemble à la cantine d’un collège ou d’un lycée, les quatre jeunes comédien.nes ne jouent pas : ce serait plutôt la restitution du travail mené en quelques semaines avec Rebecca Chaillon. Dans cette phase de préparation, ils ont beaucoup beaucoup parlé d’eux, de leurs origines, de leur adolescence, des belles choses et des obstacles qu’ils ont du chacun de leur côté vivre et affronter. Et chacun devait en tirer le fil de sa propre performance.
Des souvenirs plein les sacs ados
Pour Anthony, originaire de la Martinique comme Rebecca Chaillon, c’était de parler de sa famille, de son homosexualité, de son goût immodéré pour la culture pop dont les mangas et les jeux vidéo.
Pour Mélodie dont les origines comptent La Réunion, sa performance passait par l’évocation des ses troubles émotionnels, de sa non-binarité - ne pas se reconnaître dans les genres masculin ou féminin - et de son obsession, fut un temps, pour les réseaux sociaux.
Pour Zakary, ce sont ses parents, sa double nationalité franco-algérienne et la question de la classe sociale qui lui ont servi de biais pour sa prestation dans Plutôt vomir que faillir.
Enfin Chara, originaire de Guyane et du Surinam, souvent perdue dans ses pensées et éprise de danse, évoque tour à tour à travers des micro-mondes dans des fours à micro-ondes (!) des anecdotes liées à sa vie en Guyane, à l’école qu’elle n’aimait pas ou à ses préférences sexuelles.
Un spectacle tout en énergies
Pas un temps d’arrêt dans ce spectacle : les séquences s’enchaînent souvent drôles mais certaines émouvantes et immanquablement, quelque chose dans ce que Zakary, Chara, Melodie et Anthony partagent sur scène vient toucher une part d’adolescence parmi le public, et ce quelque soit l’âge du spectateur.
La performance qui peut avoir par certains aspects quelque chose de rebutant, n’empêche pas la portée des réflexions qui naissent de ce que nous livrent les comédien.nes. Et c’est en cela que le spectacle est très très réussi. Et qu’il rencontre le succès depuis sa création. Et que les dates de représentations se multiplient (une centaine à venir !).
Écoutez L’Oreille est hardie
Et découvrez les interprètes de Plutôt vomir que faillir parler de leur rencontre, de leurs expériences avec ce spectacle et avec Rebecca Chaillon (qui sera l'invitée d’un prochain numéro de L’Oreille…). L’Oreille est hardie avec Anthony, Zakary, Mélodie et Chara, c’est par ICI !
Ou par là :
"Plutôt vomir que faillir" mise en scène de Rébecca Chaillon avec Chara Afouhouye, Zakary Bairi, Mélodie Lauret et Anthony Martine.
Les 21 et 22 mars 2023 au NEST, CDN transfrontalier de Thionville-Grand Est et du 12 au 14 avril 2023 au CDNO, Orléans. Spectacle en tournée (une centaine de dates prévues).